Hommage de l’historien Claude Latta à son ami Henri Pansu

Hommage de l’historien Claude Latta à son ami Henri Pansu

L’historien Claude Latta a été un grand ami d’Henri Pansu et il a tenu à témoigner de son amitié et de son admiration lors de ses funérailles. Nous livrons ici la partie de son texte consacrée à l’enseignant et au chercheur.

Henri a été professeur d’histoire, en particulier à Ecully – il participa d’ailleurs à un volume d’Actes de colloque consacré à l’histoire de cette commune. Il aimait ce métier parce qu’il consiste à transmettre. Il avait dans son enseignement le goût du document qui est la base de tout, il les faisait découvrir à ses élèves. Rapprochons ce goût du document dans son enseignement du dossier qu’il réalisa aux Archives départementales du Rhône alors qu’il était chargé du service éducatif : dossier consacré au travail des enfants à Lyon et dans le département du Rhône au XIXe siècle. Nous, les anciens profs, nos anciens élèves sont partout : plusieurs des élèves d’Henri lui ont longtemps écrit et le hasard a voulu que le médecin qui l’a assisté peu avant son dernier souffle soit l’un de ses anciens élèves.

Henri a été, il faut bien y venir, l’historien de Claude-Joseph Bonnet qui fut l’un des grands patrons de la soierie lyonnaise dont il était l’un des très nombreux descendants. Il descendait du fils aîné de Claude-Joseph, Victor Bonnet : Victor Bonnet, le fils mal-aimé et rebelle. Tout jeune, Henri avait d’abord eu l’idée de faire une biographie de Victor : je suis sûr qu’il aurait été content que je le rappelle car il avait un intérêt et une tendresse pour le personnage. Mais sur les conseils de son oncle Escoffier, il s’était orienté vers une biographie de Claude-Joseph qui aurait, lui avait dit son oncle avec justesse, plus d’intérêt pour l’histoire générale et pour l’histoire de Lyon. Son travail – deux gros volumes de 600 et 800 pages – a été l’œuvre d’une vie, le résultat d’un chantier ouvert pendant de nombreuses années, accompagné de publications diverses (articles, notices, expositions) et d’une implication dans le mouvement associatif (la création et la présidence de l’association Soierie Vivante) qui avaient permis déjà à Henri de montrer ses talents d’historien. Avec ce livre, nous avons la première grande biographie d’un soyeux lyonnais. Cet ouvrage est fondé sur une masse énorme de documents venus de multiples fonds d’archives publiques mais aussi sur de très riches archives privées et sur la tradition orale, recueillie à temps : papiers de famille, lettres, témoignages de descendants, tableaux et photographies, patiemment rassemblés.

L’ouvrage consacré à Claude-Joseph Bonnet est bien plus qu’une biographie : un essai d’histoire « totale » : biographie menée sans complaisance, avec finesse et érudition ; trajectoire d’un chef d’industrie fondateur d’empire ;  histoire d’une famille et des générations qui se succèdent ; histoire des mentalités, de la culture, des opinions politiques et religieuses (le tome II est consacré aux « pieux notables ») ; histoire d’une époque et de ses soubresauts  – les révoltes des canuts ; histoire de la soierie lyonnaise ; histoire d’une entreprise qui a compté pour Lyon et Jujurieux. Avec beaucoup de passages très novateurs : l’étude de l’usine de Jujurieux, flanquée d’un internat d’apprenties encadrées par des religieuses ; l’univers technique et esthétique de la fabrication des étoffes, en particulier les fameux « unis noirs » qui firent la réputation de Claude-Joseph Bonnet ; l’attitude des soyeux lyonnais face au « faubourg de l’émeute », cette Croix-Rousse des tisseurs et des chefs d’ateliers qui, en 1831 et en 1834 - les révoltes des canuts - mais aussi en 1848 et 1849, montre les dents et secoue la ville.

Mon ami Henri Pansu s’en va. Il n’est pas tout seul, entouré par l’affection des siens, son épouse Evelyne, qui vient de nous donner une belle leçon de courage, ses fils et leurs compagnes et Joseph, et ses frère et sœurs, entouré également par l’affection de ses amis. Henri a eu l’admiration de ses lecteurs parce qu’il a réalisé une sorte de chef d’œuvre, comme en faisaient les artisans, je pèse ma formule et je le lui avais dit.

Et les hommes et les femmes de la Croix Rousse et de l’usine de Jujurieux – ou plutôt leurs ombres qu’il a su ressusciter – escortent leur historien.

 

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