Journée d’un employé au temps de Claude-Joseph Bonnet

Les frères Pointet furent employés à l'usine de Jujurieux. Ils racontent leur quotidien dans des lettres à leur mère en 1866, un an avant la mort du fondateur de la maison Bonnet.

Jean-Marie (dit Joannès)

Je n’entre dans aucun détail sur Jujurieux et la Fabrique. Le Papa a dû suffisamment vous renseigner à ce sujet, et plus longuement que je ne puis le faire sur ce papier…

Ainsi que le Papa a dû te le dire, nous commençons la journée à 5 heures. Pour cela le réveil a lieu à 4h ½, mais comme l’horloge de la maison avance d’un quart d’heure, c’est donc à 4h ¼ que nous nous levons. Je m’habille, fais ma prière, range mes affaires et voilà que j’arrive au bureau, c’est-à-dire au Service d’ouvriers. De 5 heures à 7 h ¾, je m’occupe à différentes choses, soit à écrire, soit à servir les dévideuses qui sont à la maison environ 50.

Huit heures moins ¼  arrive, avec le déjeuner. Ce matin (qui est un vendredi) nous avons eu la soupe, du beurre, des œufs et du fromage.

Nous sommes tous les jours 7 à 8 à table, mais pour le moins 7, attendu qu’un des rondeurs1 vient de temps en temps. Nous venons donc déjeuner à 7 ¾ jusqu’à 8 ½, soit ¾ d’heure. A 8 ½ tout l’atelier est au travail, les ouvriers rendent leurs pièces, il faut les servir, leur donner des cannettes, parce que toutes les cannettes se font à la maison, il y a toujours 1000 cannettes qui se font ensemble, et cela au moyen de la Chaudière à Vapeur que nous avons vue avec le père.

Nous dînons à midi et demi et nous avons jusqu’à 2 heures pour aller nous promener, nous allons au jardin prendre des lilas, si tu étais ici tu aurais de beaux bouquets. Nous rentrons à 2 heures jusqu’à 7h ½. Toujours le service nous occupe. A 7h ½, nous sortons pour souper et la journée est terminée. Nous prenons le frais jusqu’à 8 heures ½  – 9 heures et nous allons nous coucher. Nous sommes très bien nourris, nous buvons de bons coups, et tout le monde se porte très bien…

Jujurieux 28-29 avril 1864.

Jean-Marie Pointet à sa mère à Lyon, Papiers Pointet

Etienne

Tu exprimes le désir de connaître l’emploi du temps de ma journée, rien de plus naturel. Ainsi donc après le lever de 5 heures ou de 4 ½, nous allons nous enfermer dans notre bureau jusqu’à 8 heures moins un quart puis le déjeuner de ¾ d’heure avec sa soupe et ses desserts plus ou moins bons, selon la lune plus ou moins meilleure des domestiques. Une seconde halte au bureau jusqu’à midi et ½ permet de nous donner appétit pour nettoyer notre dîner avec son interminable veau, le beurre et le fromage blanc lui tiennent compagnie. Pour moi, je les préfère au premier qui commence à nous sortir par les yeux, vu sa continuelle ponctualité sur la table. Le temps assez long du repas nous permet de nous occuper à quelque chose, les uns à lire, à se coucher et moi avec M. Chavant à faire de la Photographie. Je te dirai que ça ne va pas des plus fort pour cette branche d’industrie mais la persévérance vient à bout de tout. 2 heures arrivent bientôt et avec lui, les 5 heures et ½ de travail qui me paraissent un peu longues. Le souper ressemble à peu de chose près au dîner, toujours avec le veau. Une promenade ou une conversation occupe le temps jusqu’à 9 heures, que nous prolongeons souvent dans nos chambres au détriment de Mr Bonnet2. Le jeudi ressemble aux autres jours de la semaine, si ce n’est la Messe de 6 ½ et à laquelle nous assistons. Le Dimanche nous offre plus d’agréments parce que nous sommes totalement libres…

Jujurieux 17 juillet 1866.

Etienne Pointet à sa mère à Lyon, Papiers Pointet

  1. Rondeur ou rondier : commis de ronde visitant les ateliers à domicile, dans le village et aux alentours. ↩︎
  2. La maison directoriale ou maison bourgeoise, qui domine l’usine, abrite plusieurs employés – ce fut le cas successivement pour les frères Pointet – ils y prennent leurs repas et ils y dorment. ↩︎

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